5 enseignements d'Jean-Pierre Jeannet, professeur émérite à l’institut IMD et au Babson College

5 idèes fondées sur l’ouvrage «Masterpieces of Swiss Entrepreneurship: Swiss SMEs Competing in Global Markets»

À l’aide d’une équipe de chercheurs académiques de l’Université de Saint-Gall et de l’Université de Lucerne, des entretiens approfondis ont été menés avec des cadres de PME (fondateurs, propriétaires, présidents de conseil d’administration, CEO, CFO) issus de 36 entreprises. Nous avons analysé ces PME axées sur l’exportation pour identifier des pratiques de gestion qui pourraient expliquer leur réussite à long terme. Les entreprises documentées appartenaient à différents secteurs de l’industrie à travers la Suisse. Leurs chiffres de ventes étaient compris entre 30 et 500 millions de francs suisses et elles existaient depuis 20 à 190 ans. La réussite de ces entreprises et d’autres semblables était et est toujours un facteur majeur d’indication que la Suisse n’a pas encore connu de désindustrialisation à grande échelle!

Jean-Pierre Jeannet

Enseignement 1: pratiques pour le long terme
Notre analyse détaillée de ces 36 entreprises n’a pas permis d’identifier une garantie unique de réussite à long terme. À la place, nous avons trouvé des groupes de sept pratiques constamment appliquées, chaque groupe laissant place à différentes interprétations ou à des expressions alternatives. Les groupes de sept pratiques englobaient la gouvernance, le style de direction et le financement, le focus, le marketing, la conception de produit, l’innovation et l’exploitation de l’écosystème suisse. Les entreprises appliquaient généralement des pratiques issues de l’un ou plusieurs de ces groupes. Différentes possibilités s’offraient donc, mais il fallait en choisir au moins une! 

Enseignement 2: style de direction pour les PME et les grandes entreprises
Notre analyse a généré une série de réponses au sujet de la gouvernance et du style de direction des PME suisses et des plus grandes entreprises suisses. Les personnes que nous avons interrogées accordaient pour la plupart beaucoup de valeur aux principes de direction généraux et aux concepts expérimentés au sein d’entreprises plus grandes, en particulier lorsqu’il était question de la gestion des coûts. En revanche, en ce qui concerne la gestion financière, l’accent était davantage mis sur les cash-flows que sur l’importance d’évaluer l’entreprise. Une nette démarcation a pu être identifiée dans le style de direction personnel des PME, qui est plus direct. Pour citer une personne interrogée, «tout le monde parle avec tout le monde». La structure hiérarchique horizontale en résultant était considérée comme plus efficace et distincte du style de direction «anglo-saxon» préféré par de nombreuses grandes entreprises, ce qui a d’ailleurs été démontré par plusieurs entreprises qui avaient auparavant fait partie de la structure d’une plus grande entreprise et avaient constaté un déclin. Elles avaient été sauvées grâce à de nouveaux propriétaires, qui les ont libérées des entraves de ces grandes entreprises, les établissant comme des PME indépendantes et mettant en place des principes de direction généraux et sains ainsi que le style de direction plus direct typique des PME. Sur la base de cette preuve, il est facile de croire à l’existence de nombreuses autres entités qui dépérissent sous la coupe de grandes entreprises!

Enseignement 3: innovation fondée sur le «principe de l’œil ouvert»
Les PME de notre recherche faisaient preuve d’une grande innovation sur la durée afin de garantir leur survie à long terme. Étonnamment, leurs innovations ne venaient souvent pas des départements de recherche et développement classiques. La plupart des innovations trouvaient leur source dans une pratique désignée par une entreprise comme le «principe de l’œil ouvert» et fondée sur le constat que de nombreuses bonnes idées existaient déjà dans le domaine public ou sur le marché et qu’elles ne nécessitaient que peu d’ajustements pour répondre à la spécificité des clients de l’entreprise. L’accent était mis sur le développement de modèles de produits adéquats sur la base d’idées directement fournies à l’entreprise ou glanées grâce aux contacts étroits avec les clients. En mettant l’accent sur la facilité d’utilisation des produits, les PME plaçaient l’ergonomie au sens large pour les utilisateurs au cœur de leurs pratiques d’innovation. Cette façon de faire compensait les prix inévitablement plus élevés par des coûts à long terme moindres et une durée de vie du produit plus longue ainsi que des frais de maintenance réduits et une efficacité d’utilisation croissante. Apporter une solution aux problèmes spécifiques des clients a porté ses fruits sur le long terme. Par conséquent, les PME qui réussissaient étaient celles qui accordaient de l’importance à la réflexion sur la conception avant même que ce concept ne devienne populaire dans les sphères de direction!

Enseignement 4: un focus n’est pas simplement un focus
L’un des apprentissages les plus enrichissants a concerné la pratique des focus. Nous avons identifié six types de focus différents: l’industrie, les affaires, les compétences, la technologie, le marché et le focus sur une franchise clients déterminée. En fonction de leur situation, les PME suisses appliquaient différents types de focus et en combinaient souvent deux ou plus en «groupes de focus». Ces entreprises profitaient de la restriction de leur espace de marché en restreignant nettement leurs activités, rassemblant souvent de nombreux modèles différents ou des variations de produits dans une seule niche de marché. À l’aide de cessions périodiques et de segmentation créative, les PME appliquaient intensivement la stratégie de «platforming» aux niches limitées. Cela a permis aux PME suisses d’établir leur supériorité concurrentielle relative par rapport à des acteurs pourtant bien plus grands, en proposant à un groupe de clients précis une offre plus large de possibilités et de modèles. Soudain, la petite entreprise prenait une ampleur inédite grâce à sa présence massive dans une niche de marché limitée qui lui permettait de dépasser localement de plus grands acteurs, compensant ainsi sa plus petite taille. Ce type de focus était régulièrement appliqué avec des efforts intransigeants, distinguant ainsi nettement les petites entreprises de la plupart des grandes, dont le focus est souvent composé de paroles en l’air. Il existe certainement différentes façons d’établir un focus, mais elles ont su combiner focus et vengeance!

Enseignement 5: financement externe et interne
Nous pensions que les PME qui avaient protégé leur indépendance en gardant leur statut privé ou celles qui étaient transmises de génération en génération au sein d’une famille bénéficieraient d’un avantage par rapport à celles qui avaient choisi des investisseurs externes ou même qui auraient acquis un statut public. Notre analyse de la performance des entreprises sur le long terme a pourtant mis en évidence le fait que les entreprises ouvertes au financement externe affichaient des taux de croissance plus élevés que celles qui restaient strictement fermées. Les entreprises anonymes privées avaient tendance à considérer l’indépendance comme une garantie pour appliquer les pratiques que nous avions identifiées comme gagnantes à long terme. Les entreprises plus ouvertes aux investisseurs externes, tout en acceptant qu’une telle ouverture impliquait un travail de reporting supplémentaire, se satisfaisaient de leur autonomie opérationnelle plutôt que d’une indépendance de propriété. Les entreprises faisant appel à des investisseurs ou à des actionnaires externes maintenaient leur réussite tant que la gérance pouvait protéger son autonomie opérationnelle afin de suivre les pratiques gagnantes de PME. À cet effet, un traitement avantageux était nécessaire pour convaincre les propriétaires ou actionnaires, par exemple au moyen d’accords d’actionnariat contraignants à long terme. L’autonomie pouvait alors éclipser l’indépendance!

Publication

«Masterpieces of Swiss Entrepreneurship: Swiss SMEs Competing in Global Markets», Jean-Pierre Jeannet, Thierry Volery, Heiko Bergmann, Cornelia Amstutz, by Springer Nature, Open Access, 2021.

En savoir plus

Le livre du professeur Jeannet et de ses coauteurs présente un aperçu unique de 36 profils de leaders suisses de l'exportation du secteur des PME.
La réalisation de l'ouvrage a été soutenue par la Fondation SVC pour l'entrepreneuriat ainsi que par le Credit Suisse, partenaire Or du SVC.
Le livre peut être téléchargé gratuitement en ligne.
Lien pour le téléchargement gratuit.   

Un nombre limité de livres peut être commandé chez nous en format papier au prix spécial de 42 CHF, y c. envoi. Commande par e-mail à info@svc.swiss.

 

Fleurons de l’entrepreneuriat suisse

La taille n’est pas la seule recette du succès sur le marché mondial. C’est ainsi que plusieurs PME helvétiques qui conservent leur production en Suisse ont pu s’imposer à l’échelle internationale. Le livre intitulé «Masterpieces of Swiss Entrepreneurship», disponible gratuitement, retrace l’histoire de leur développement. Son co-auteur, le professeur Heiko Bergmann, explique dans l’interview ce que ces entreprises ont en commun.

LIEN VERS LA VIDÉO

 

 
Jean-Pierre Jeannet
Nom
Jean-Pierre Jeannet
Fonction/entreprise
Professeur émérite à l’institut IMD (Lausanne) et au Babson College (Wellesley, Mass., États-Unis)